SALIH
SALIH, PEINTRE DE LA PAROLE
Fondateur de l’école de Bagdad, Ibn Muqla (886-940) a fort justement défini la calligraphie comme l’art du trait. Il n’en demeure pas moins qu’en raison de l’interdit de la figuration dans la tradition arabo-musulmane, cet art est devenu une sorte d’image de la parole, joignant l’utile (la communication par l’écriture) à l’agréable (l’émotion esthétique).
Ainsi, sous le calame de Salih, voici que les mots s’animent en un ballet gracieux aux couleurs de l’Orient. Dans la trame complexe d’un graphisme reflétant le labyrinthe des ruelles de Bagdad, viennent harmonieusement se fondre à travers des fleurs, des rosaces et de longs rubans, les coloris du grenadier, le jaune citron du désert d’Irak, le bleu turquoise, l’indigo ou le vert de la coupole des mosquées. « Je crois que si je n’avais pas été calligraphe, confie l’artiste, j’aurais été peintre paysagiste. »
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Mais si le signe se fait chez lui image légère, aérienne, à la fois mouvante et multicolore, il ne faut pas pour autant en minimiser le sens. Il s’agit en effet pour Salih de célébrer aussi les valeurs intemporelles de notre humanité au-delà de l’injustice, de la violence ou de la haine qui ensanglantent périodiquement le monde et dont l’artiste porte particulièrement les blessures à travers celles de sa terre natale. Paix, amour, liberté, fraternité… Tels sont, comme l’écrivait Eluard, quelques-uns des « mots qui font vivre ». Tels sont ceux qu’exalte notre calligraphe dont l’art est porteur d’humanisme et d’espoir.
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L’artiste n’a pas oublié que dans l’antique culture mésopotamienne, berceau de la civilisation, la calligraphie constituait la référence même de la beauté, une valeur absolue que Platon associait au vrai et au bien. Sans doute est-ce pour cela que Dostoïevski a estimé qu’elle pourrait « sauver le monde », idée dont Salih a fait son credo. Face au pire, l’art demeurera obstinément rebelle. Conçue, pour sa part, comme un vecteur de révolte contre l’ignorance, les catastrophes écologiques et le crépitement des armes, la calligraphie se fera toujours pourvoyeuse de savoir, porteuse de messages de juste mesure, d’amour et de paix.
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« Mes courbes sont pour la tendresse et la grâce. Mes traits sont purs pour la beauté et l’amour », disait un maître calligraphe. C’est ce dont témoignent aussi, de façon magistrale, les créations que nous offre ici Salih, célébrations plastiques flamboyantes d’une sagesse universelle exprimée par des auteurs de toutes époques et de tous pays.
Christian Jamet