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« Le plus vieux Suédois de Paris » :

Allan Österlind

(1855 -1938)

Un peintre au sein d’une colonie d’artistes

Vers la fin des années 1870, quelques signes annoncent déjà l'engouement de la critique française pour l'art nordique au cours de la décennie suivante. Lors du Salon de 1876, on peut notamment lire dans la revue L'Art qu'« il y a dans le Nord une école de paysagistes avec laquelle nous devons compter ». Une colonie d’artistes venus de Norvège, de Suède, du Danemark ou de Finlande s’est en effet établie à Paris dans le quartier de Montmartre. Elle se regroupe au café de l’Ermitage, près de la place Pigalle, et au restaurant des Lilas, au coin de la rue des Martyrs et du boulevard de Clichy. Chacun entend rompre avec l’académisme qui lui a été inculqué dans son pays d’origine, avide d’apprendre la « claire peinture » et de récolter des médailles dans les Salons.

Adeptes du plein air, ces jeunes peintres séjournent très souvent hors de la capitale, généralement par petits groupes. Ils plantent leur chevalet à Barbizon, Grez-sur-Loing, mais aussi sur les côtes bretonnes ou dans la vallée de la Creuse, lieux particulièrement chers à Allan Österlind. Vraisemblablement venu brièvement en France dès 1876 puis établi dans la capitale l’année suivante, sans doute celui-ci mérite-t-il le qualificatif de « plus vieux Suédois de Paris » que la presse de son pays lui a attribué à sa mort, en 1938.

Dans les années 1880, la colonie montmartroise se réduit et éclate dans le XVIIe arrondissement, pour ceux qui ont réussi, ou encore à Montparnasse où Ernst Josephson, ami d’Österlind, pourfend l’Académie des Beaux-Arts de Suède dans un petit café de la rue Jacob nommé « Le Jésus Syrach ».

Faute de maîtriser, pour la plupart d’entre eux, la langue de Molière, les peintres venus du Nord n’ont guère de contacts avec les artistes français de leur génération malgré quelques rencontres, notamment avec Gauguin, par l’intermédiaire de sa femme Mette Sophie Gad qui était d’origine danoise. Même si, des années plus tard, le "sauvage" d'Iva Oa affirme haut et fort haïr « profondément » le Danemark dont il garde un fort mauvais souvenir du « climat et des habitants », il reconnaît au détour d’une remarque sur l’art nordique, dans Avant et après (1902-1903), que ce pays a malgré tout « du bon ». Cette concession s’accompagne, hélas, d’une violente diatribe contre les Norvégiens et les Suédois : « Ainsi depuis vingt-cinq ans, tandis que la Norvège et la Suède ont envahi les salons de peinture en France pour plagier dans tous les sentiers qui sentent mauvais, mais ont de belles apparences, le Danemark honteux de son échec à l’Exposition universelle de 1878, se mit à réfléchir, à se concentrer en lui-même. De là est sorti un art danois, très personnel et auquel il faudra faire attention, et je suis heureux ici d’en faire les éloges. » Ce compliment ne saurait absoudre l’auteur d’un éreintement bien injuste des autres Scandinaves, si l’on songe notamment à des peintres tels qu’Österlind ou Skredsvig. Mais le naturalisme dominant des Suédois et des Norvégiens peut-il trouver grâce aux yeux de l’inventeur du synthétisme ?

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Hugo Birger, Le Déjeuner  des artistes scandinaves au café Ledoyen, Paris :  jour du vernissage 1886 (1886),

huile sur toile, 135 x 201 cm, Göteborg, Musée des Beaux-Arts.

À l’issue du vernissage du Salon de 1886, peintres et sculpteurs nordiques ont en tout cas des raisons de festoyer au Pavillon Ledoyen, à proximité du Palais des Champs-Élysées, comme en témoigne le tableau du Suédois Hugo Birger (1854-1887). L’État français s’est en effet empressé d’acquérir le Portrait de M. Pasteur exposé par le Finlandais Albert Edelfelt et son compatriote Ville Vallgren vient quant à lui de recevoir une mention honorable pour son Portrait de M. Edelfelt et sa sculpture Écho. Aussi voit-on, à l’arrière-plan du tableau de Birger, les deux héros du jour se congratuler en levant leur coupe de champagne. Tous les visages ont été identifiés et l’auteur de la toile ne s’est évidemment pas oublié : lui aussi fête l’événement et s’apprête à boire son verre.

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À gauche, près de la table, son éternelle cigarette à la main, un peintre suédois fixe du regard un vieil homme à barbe blanche (Peterson) qui remplit la coupe d’une dame élégante, Antoinette Vallgren, épouse d’un des « héros » du jour : il s’agit d’Allan Österlind, alors âgé de trente et un ans.

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Breton, berrichon et creusois de coeur

Natif de Stockholm où il a fréquenté l’Académie royale des arts de Suède en tant qu’élève sculpteur (1874-1875), poursuivant sa formation auprès de Pierre-Jules Cavelier à son arrivée en France, Allan Österlind s’oriente bientôt exclusivement vers le dessin, la gravure et la peinture. S’il pratique avec bonheur le paysage, il excelle dans les scènes de genre. Toujours en mouvement, il fréquente lui aussi Barbizon et Grez-sur-Loing mais il est bien vite séduit par la Bretagne, séjournant dans de multiples localités, notamment Tréboul, Saint-Briac et Bréhat. En 1893, le voici en Espagne, à Malaga et Séville, fasciné par la grâce des danseuses de flamenco ainsi que l’attestent nombre de gravures et d’aquarelles. On le voit épisodiquement à Cagnes-sur-Mer durant la guerre de 1914-1918.

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Allan Österlind, La Croix Saint-Michel de Bréhat (1917),

huile sur carton, 37 x 45 cm, collection particulière (d.r.).

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Allan Österlind, Le Baptême (1886), huile sur toile, 114 x 201 cm, Helsinki, Musée Ateneum.

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Allan Österlind, Danseuse de flamenco (1893), aquarelle sur papier,

44,5 x 54,5 cm, collection particulière.

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Allan Österlind, Le Poète Rollinat chez lui ou Maurice Rollinat et son chien (vers 1898),

aquarelle sur papier, 90 x 115 cm, Les musées de la Ville de Châteauroux.

Précédant Monet (qu’il rencontrera en 1889) et Guillaumin, c’est probablement en 1884 que notre Suédois a découvert la vallée de la Creuse dont s’étaient épris avant lui George Sand et plusieurs peintres venus dans son sillage. Dès lors, il a fait de Fresselines et de Gargilesse ses lieux d’élection dans la contrée. En mai 1886 puis entre octobre 1886 et juillet 1887, il s’installe toutefois avec sa famille non loin de Chambon-sur-Voueize, dans le village creusois de Lépaud. Ernst Josephson les accompagne ; le Norvégien Christian Skerdsvig, peintre et écrivain, ainsi que son épouse vont rejoindre le petit groupe d'amis dès novembre. À double titre, ce séjour creusois de quelques mois a marqué la vie d’Allan Österlind à travers une œuvre à succès, décisive pour sa carrière, et la venue au monde d’un deuxième enfant.

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À gauche : Erik Josephson, Österlind à Lépaud (1886-1887), dessin, collection particulière (d. r.).

À droite : Allan Österlind, Josephson à Lépaud (1886-1887), peinture, collection particulière (d. r.).

Au cours de l’hiver 1886-1887, multipliant études, croquis et séances de pose auxquelles on imagine se prêter bien volontiers quelques habitants du village, Allan élabore patiemment la toile qui va faire de lui un peintre désormais reconnu : À la maison mortuaire. Durant l’été 1886, à Tréboul, il a traité un sujet semblable mais dans un format plus modeste (Lit de mort, tableau contemporain du Baptême montré plus haut).

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En haut : Allan Österlind, À la maison mortuaire (1887), huile sur toile, 160 x 258 cm, Charleville-Mézières,

Musée de l’Ardenne.  Au-dessous,  à gauche : Allan Österlind, étude pour À la maison mortuaire (1887),  

huile sur bois, 42 x 63 cm, collection particulière (d. r.) ; suivent des détails de À la maison mortuaire.

Dans la veine du réalisme paysan très prisé à l’époque, cette vaste composition est aussitôt gratifiée d’une mention honorable et achetée par l’État au Salon de 1887. La carrière du peintre est lancée : à son tour les honneurs et le champagne du Pavillon Ledoyen ! Ce succès en générera un autre dès l’année suivante puisque Fin de journée, un intérieur breton cette fois, fera également l’objet d’une acquisition de L’État. Sans motif particulier, sinon la volonté d’enrichir les collections d’un musée de province, le tableau À la Maison mortuaire va être mis en dépôt à Charleville-Mézières, le 3 juin 1889. Une photographie de cette toile se trouve de nos jours dans l'église Saint-Nicolas de Lépaud.

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Photographie de À la Maison mortuaire, église Saint-Nicolas de Lépaud.

C’est dans ce même village que vient au monde, le 19 juin 1887, le fils d’Allan Österlind et de son épouse Eugénie Carré : Anders Örm (1887-1960). Josephson et Skredsvig figurent comme témoins sur  son acte de naissance.

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Acte de naissance d’Anders Österlind (mairie de Lépaud).

Formé par son père, il deviendra lui aussi un peintre remarquable, lié à de grands artistes contemporains tels qu’Othon Friesz ou Amedeo Modigliani. La critique le place au niveau de Maurice de Vlaminck dont il n’a pas été le disciple mais dont l’influence est sensible dans ses paysages puissamment expressionnistes, aux ciels souvent tourmentés. Héritier de l’humeur vagabonde d’Allan, il a lui aussi sillonné de nombreuses contrées, en France ou à l’étranger, mais il est toujours resté particulièrement attaché à la vallée de la Creuse.

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À gauche : Anders Österlind, Le Château de Puy-Guillon à Fresselines (vers1932),

huile sur toile, 54 x 65 cm, collection particulière.

À droite : Anders Österlind, La Maison Diriks à Saint-Palais-sur Mer (1952),

huile sur toile, 73 x 92 cm, collection particulière.

Quelques ouvrages

ANONYME : Un retour aux sources : Anders Österlind à Lépaud 1887-1993, plaquette, Lépaud, 1993.

ORNANO Jean (d') : Sur les traces d’Allan Österlind, brochure hors commerce, 1997 ; Les Trois Österlind de 1855 à 1943, Château de Gargilesse, 2005.            

RAMEIX Christophe : L’École de Crozant, Éditions Lucien Souny, 1991-2002.

RÖSTORP VIBEKE : Allan Österlind - De la Suède aux rives de la Creuse, In Itinérances artistiques, Les Ardents Éditeurs, 2016.

RUTGER Kjell, STRÖMBERG Georg : Les Suédois en France depuis le Moyen Âge à nos jours, Forum, 1963.

 

Christian Jamet, juillet 2021

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